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Le Trio Joubran

ouds & poems

« Nous devons être gentils »

entretenu avec adnan joubran

Samedi 16 juillet, le Walden Festival accueille Le Trio Joubran sur sa scène principale. Qualifiés de « maestros de l’oud » pour leur impressionnante virtuosité, leurs improvisations fascinantes et leurs sons électroniques, les trois frères palestiniens estiment que la lutte contre l’oppression est au moins aussi importante que la renaissance de leur instrument à cordes traditionnel. Nous nous sommes entretenus avec Adnan Joubran, le benjamin du groupe.

 

Lors du Walden Festival, vous jouerez des morceaux de votre album The Long March. Qu’est-ce qu’il représente pour vous ?

Bien sûr, on se met à travailler sur un nouvel album parce qu’on ressent le besoin d’exprimer de nouvelles idées. Mais quand nous avons pris du recul et écouté ce que nous avions composé, nous avons senti que les morceaux étaient si différents dans leurs intonations et leurs sentiments qu’il nous fallait une histoire pour les relier. Nos deux albums précédents étaient très liés aux mots du grand poète palestinien Mahmoud Darwich. Cette fois, nous avions décidé de ne pas faire référence à sa poésie, mais en écoutant nos enregistrements, un déclic s’est produit. J’ai consulté ma bibliothèque, où je conserve une vaste collection d’enregistrements vocaux de Mahmoud Darwich, j’ai pris un sample vocal et je l’ai mis sur la musique. Et soudain, tout s’est éclairé. Le poème est devenu l’élément le plus important de tout l’album ; c’est lui qui relie toutes les idées.

 

Mahmoud Darwich a écrit « Nous ferons face à la longue marche, mais d’abord, nous défendrons les arbres que nous portons ». Qu’évoquent ces paroles pour vous ?

Il a écrit ce poème du point de vue d’un chef amérindien, qui s’adresse à son peuple et aux « maîtres blancs » qui colonisent leur terre. « Avant que vous ne nous tuiez, avant que vous ne traciez toutes les routes et ne construisiez votre empire sur nos terres sacrées, dit-il, nous défendrons nos arbres, notre lune, notre culture. » Bien sûr, Mahmoud Darwich symbolisait la situation dans laquelle nous, Palestiniens, nous trouvons. Dans son discours, le chef amérindien pose la question suivante : « où nous emmenez-vous, maître blanc ? » Au moment où nous enregistrions l’album, Donald Trump proposait « généreusement » que Jérusalem devienne la capitale d’Israël. Pour nous, ce poème représente donc ce que nous défendons en tant que Palestiniens. Nous devrons défendre notre faiblesse, notre pouvoir, nos arbres, nos routes, notre langue, notre nourriture, notre avenir, nos enfants. Nous avons intitulé chaque morceau selon une phrase du discours de l’Amérindien, comme « The Age of Industry » (l’âge de l’industrie) ou « Carry the Earth » (porter la terre). Mis ensemble, les mots reconstituent le texte intégral du poème, révélant ainsi le message sous-jacent.

 

Vous mentionnez Carry the Earth, une chanson que vous avez coécrite avec Roger Waters. Comment les chemins de trois maîtres de l’oud et celui de l’ancien leader de Pink Floyd se sont-ils croisés ?

Un jour, un ami commun nous a dit : « Hé les gars, vous savez que Roger Waters adore votre musique et qu’il l’écoute en écrivant ses paroles ? » Nous l’avons donc contacté et il nous a invités chez lui à Manhattan. Il nous a expliqué qu’il voulait utiliser les paroles de Mahmoud Darwich pour l’une de ses chansons (Wait For Her), « mais comme Mahmoud Darwich est décédé et que vous étiez les personnes les plus proches de lui, pourriez-vous me donner votre bénédiction ? ». Ensuite, il nous l’a fait écouter. D’ailleurs, c’est amusant de parler de lui en ce moment, car il se trouve que nous allons le rencontrer plus tard dans la journée. Il donne un concert à Londres, et je lui ai dit : « écoute, je traverse une période difficile et j’ai vraiment besoin d’énergie, alors j’ai besoin de te voir ».

 

Peut-on dire que la diffusion du message de la cause palestinienne est cruciale pour le Trio Joubran ?

Absolument. C’est vital pour nous, en tant que trio, en tant que Palestiniens et en tant qu’êtres humains. Nous estimons qu’il est de notre devoir de représenter d’abord notre peuple, avec fierté. Ensuite, de présenter notre situation d’un point de vue humain et non politique. Enfin, de nous inspirer de notre musique et, grâce à cette énergie, de partager notre récit sur scène. Nous n’adoptons pas l’histoire de quelqu’un d’autre. Nous avons malheureusement bien assez de raisons de nous battre.

Nous aimerions que les personnes qui sont contre l’humanité et la paix assistent à nos concerts.

Croyez-vous que la musique puisse faire changer les choses ?

Vous savez, la musique a un grand effet sur ceux qui sont déjà conscientisés. Lorsque nous donnons des concerts, il arrive souvent que les gens viennent vers nous, pleurent, essaient de nous toucher. D’une certaine manière, nous ne nous adressons pas aux bonnes personnes, car celles-ci sont déjà conscientisées. Nous aimerions que les personnes qui sont contre l’humanité et la paix assistent à nos concerts. Mais que peut bien faire la musique à ceux qui détiennent le pouvoir ? À ces « maîtres blancs » ? J’aimerais qu’elle puisse faire beaucoup. J’y réfléchissais le mois dernier. Je n’aime pas que des hommes politiques viennent à nos concerts, parce qu’ils occupent les meilleures places de la salle, à moins que, tout compte fait, ils ne viennent pas du tout. Mais en même temps, j’apprécie beaucoup ceux qui viennent vraiment. Parce qu’ils sentent qu’ils ont besoin de notre musique, et ils me le disent. Lorsqu’ils assistent à nos concerts, je ressens que je dois leur donner autant de sentiments et d’humanité que possible pour les ramener sur la bonne voie et les inciter à faire leur travail. Si vous faites écouter de la musique à un bébé ou à un jeune enfant, qui n’est pas encore corrompu sur le plan émotionnel ou politique, vous voyez immédiatement l’effet énorme qu’elle a sur eux.

 

Est-ce aussi ce à quoi vous faites allusion avec votre single Birth (naissance) ?

Oui, mais le message que je veux faire passer avec Birth est encore plus pur que cela. Pour moi, les nouveau-nés sont ce qu’il y a de plus pur sur terre. Malheureusement, en vivant jour après jour sur cette Terre, ils se corrompent peu à peu. Voilà pourquoi je fais de mon mieux pour éloigner mes enfants de toute la méchanceté du monde, de toute parole ou pensée mauvaise. J’espère ainsi pouvoir les amener à devenir les meilleurs humains possible pour demain. Je lis régulièrement une histoire à mes enfants. Elle s’appelle L’Enfant, la Taupe, le Renard et le Cheval. Mon moment préféré est celui où le garçon demande à la taupe : qu’est-ce que tu aimerais être plus tard ? Et la taupe répond qu’elle aimerait être gentille. C’est ce qui importe aujourd’hui. L’important n’est pas de savoir ce que nous deviendrons, que ce soit pilote ou médecin : l’important, c’est que nous soyons gentils. C’est vital.

 

Pensez-vous que la musique puisse diffuser cette gentillesse ?

J’en suis convaincu à 100 %. Ou au moins qu’elle soit capable de l’éveiller.

 

Entretien par Lalina Goddard

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